Ses mains au parfum de cuir

Consigne spéciale pour l'anniversaire des 13 ans de Kaléïdoplumes

Je le revois manier ses étoffes de cuir avec un mélange de force et de douceur. De temps en temps il pose un morceau sur un mannequin, l'ajuste, le caresse. Je sens encore l'odeur du cuir, la chaleur de ses mains. Quand il prend une craie, dessine des lignes ou suit nos courbes, ses traits rapides, précis nous font frissonner. Aucun geste n'est brusque, inutile, mais toujours sensuel. A mesure que la veste ou la robe se dessine, leurs chaleur nous couvre, ajoutant des étincelles dans nos yeux. Ses mains nous habillent avec tant de douceurs, de tendresses.

De temps en temps, une tape sur les fesses me sortait de mes pensées. Son apprenti venait d'arriver. Il était un peu rustre, ses mains comme des aiguilles à force de taper sur des claviers d'ordinateurs. Je n'étais plus qu'un objet parmi d'autres ; tandis que le maître voyait en nous la femme qui allait porter sa création.

Il nous disait qu'on était belles et nous racontait son amour des beaux vêtements, des femmes élégantes. Ajustait, modifiait une coupe, une forme, ajoutait un galon, un bouton, juste ce qu'il fallait pour mettre nos corps en valeurs. On le regardait accueillir ses clientes, admirer la couleur de leurs yeux, la forme de leurs mains, prendre les bonnes mesures sans en avoir l'air. Autant il n'avait pas besoin d'en savoir plus sur ces dames lors de leurs premières visites, autant il faisait courir ses mains sur nos corps, toujours avec douceurs tout au long de la création du nouveau vêtement.

Certaines clientes venaient faire un essayage pour les pièces les plus complexes ; je l'imaginait les accompagner avec délicatesse, poser ses mains sur leurs hanches en leur montrant ce qu'il reste à ajuster, assortir à couleur de leurs yeux ou raconter comment le vêtement se porte toujours plus près du corps. Ajouter ou enlever un bouton, un pli, une fente ne lui posait pas de problème. Combien d'entre elles sont revenues avec le secret espoir que ses doigts, sur leurs peaux, s'attardent un peu plus. Elles aimaient et je suppose, aiment toujours ses robes parfaitement ajustées qu'elles partagent maintenant avec leurs amants, leurs amies, leurs sœurs et leurs filles peut-être un jour. Je les comprends pour avoir vécu leurs sensations, que dis-je, leurs émotions avant elle, au fil de leurs conceptions, perçu, ressenti chaque pièce, chaque parcelle de cuir, de soie et de dentelle sur mon corps de mannequin immobile.

Je rêve encore de ses mains, de ses doigts si chaleureux, doux et sensuels parcourant nos corps sans en avoir l'air. Nous avons tout notre temps, plus personne ne viendra ouvrir la port et allumer la lumière pour interrompre nos rêves.